1. Dispositions légales
Loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux
Article 25.
Si le preneur a régulièrement manifesté sa volonté d’user de son droit de renouvellement et se l’est vu refuser, il a droit, dans les cas déterminés ci-après, à une indemnité qui, sauf accord des parties, survenant après l’ouverture de ce droit, est fixée forfaitairement comme suit :
1° L’indemnité est égale à un an de loyer si le bailleur entend, soit affecter l’immeuble à une destination non commerciale par application du 2° de l’article 16, soit le reconstruire conformément au 3° de l’article 16. Toutefois, dans ce dernier cas, il n’est dû aucune indemnité si la démolition ou la reconstruction de l’immeuble ont été rendues nécessaires par son état de vétusté, par la force majeure ou par des dispositions légales ou réglementaires;
2° L’indemnité est égale à deux ans de loyer si le bailleur ou un des occupants énumérés à l’article 16, § 1, 1°, même en cas d’application du § III de l’article 16, exerce dans l’immeuble un commerce similaire;
3° (L’indemnité est de trois ans de loyer, majorée éventuellement des sommes suffisantes pour assurer une réparation intégrale du préjudice causé, si le bailleur, sans justifier d’un motif grave, ne réalise pas dans les six mois et pendant deux ans au moins l’intention pour laquelle il a pu évincer le preneur. Cette indemnité n’est pas due si le bailleur donne à l’immeuble une affectation qui lui aurait permis la reprise sans indemnité ou moyennant une indemnité égale ou inférieure à celle qu’il a dû supporter;)
4° L’indemnité est égale à un an du loyer stipulé dans le nouveau bail si le preneur qui a fait une offre sérieuse a été écarté par suite de l’offre d’un tiers surenchérisseur, conformément à l’article 23, et si le dit tiers exerce dans l’immeuble un commerce différent de celui qu’y exerçait l’ancien preneur;
5° L’indemnité est égale à deux ans du loyer stipulé dans le nouveau bail, si ce nouveau preneur exerce dans l’immeuble un commerce similaire à celui du preneur sortant;
6° (L’indemnité d’éviction est de trois ans de loyer, majorée éventuellement des sommes suffisantes pour assurer une réparation intégrale du préjudice causé, si le bailleur ou le nouveau preneur ouvre avant l’expiration d’un délai de deux ans un commerce similaire, sans en avoir donné connaissance au preneur sortant lors de son éviction. Le bailleur et le tiers nouvel occupant sont solidairement tenus.)
Le montant des loyers rapportés par des sous-locations peut être déduit par le juge en tout ou en partie du loyer servant de base aux indemnités prévues au présent article et à l’article 16, IV.
(En cas de sous-location commerciale, le juge peut répartir l’indemnité entre le locataire principal et le sous-locataire.)
Dans les cas visés aux 2°, (…) et 5° ci-dessus, le preneur peut se pourvoir devant le juge si l’indemnité apparaît manifestement insuffisante en raison du profit que le bailleur a retiré de l’éviction. <L 23-06-1955, art. 1>
Le bailleur peut, de son côté, se pourvoir devant le juge si l’indemnité apparaît manifestement exagérée en raison de l’état d’abandon ou de déclin du commerce au moment de la reprise.
Lorsque le bailleur est propriétaire du fonds de commerce qui est exploité dans l’immeuble loué et que le bail porte simultanément sur le bien loué et le fonds de commerce, il ne doit pas d’indemnité, à moins que le preneur n’établisse qu’il a augmenté l’importance du fonds de commerce d’au moins 15 p.c. En ce cas, le juge fixe l’indemnité, en équité, selon la plus-value qui en est résultée pour le bailleur.
Article 26.
Une indemnité d’éviction est éventuellement due, dans les cas et suivant les modalités prévues aux articles 25 et 27, par le bailleur qui, par application de l’article 3, alinéa 5, met fin au bail avant l’échéance et par l’acquéreur qui expulse le preneur conformément aux conditions prescrites à l’article 12.
Article 27.
Tant que le preneur sortant n’a pas reçu l’indemnité d’éviction à laquelle il a droit, ou la partie de cette indemnité qui n’est pas sérieusement contestée, il peut se maintenir dans les lieux jusqu’à entier payement sans être tenu à aucun loyer.
Article 28.
Les actions en payement de l’indemnité d’éviction doivent être intentées dans un délai d’un an à dater du fait donnant ouverture à l’action.
2. Chronique
L’indemnité d’éviction vise à indemniser le locataire pour la perte du fonds de commerce, à savoir, la perte de l’exploitation par le locataire dans les lieux loués, lorsqu’elle est la conséquence de l’éviction (conséquence du non-renouvellement du bail commercial).
C’est le fonds de commerce que le législateur entend protéger par le biais du contrat de bail, instrument stabilisateur de ce fonds.
Cette indemnisation de la perte du fonds de commerce n’est envisageable qu’à la condition que le locataire (évincé) est propriétaire de ce fonds ou à défaut, en avoir augmenté l’importance d’au moins 15%.
Le bailleur peut également refuser le renouvellement du bail sans indemnité en cas d’absence d’intérêt légitime dans le chef du preneur. Constitue une absence d’intérêt légitime dans le chef du preneur, le fait qu’avant l’expiration du délai prévu à l’article 14 de la loi pour la notification du bailleur en réponse à la demande de renouvellement, de disposer dans le voisinage immédiat un bien loué d’un immeuble ou d’une partie d’immeuble où il pourrait continuer son exploitation commerciale.
En conséquence, l’indemnité d’éviction, telle qu’elle est fixée par cette loi, vise à indemniser le locataire pour la perte du fonds de commerce, qui est la conséquence de l’éviction. Le locataire conserve son droit à l’indemnité d’éviction, bien qu’il ait installé son fonds de commerce à proximité des lieux loués, lorsque ce déménagement est la conséquence du refus de renouvellement du bail (Cass., 18 novembre 2019, Pas., n°602, p. 2018).
Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail s’il souhaite reconstruire l’immeuble ou la partie de l’immeuble dans laquelle le preneur sortant exerce son activité. La notion de reconstruction consiste en « toute transformation précédée d’une démolition, affectant toutes deux le gros oeuvre des locaux et dont le coût dépasse trois années de loyer. Dans ce cas, il est dû une indemnité au preneur qui est égale à un an de loyer.
Deux conditions sont donc imposées : (1) la nature des travaux, à savoir la transformation précédée d’une démolition et affectant le gros oeuvre et (2) le coût des travaux, à savoir, dépasser trois années de loyer.
(1) de simples travaux d’agrandissement d’une surface commerciale ne constituent pas des travaux de reconstruction (Civ. Flandre-orientale, 6 septembre 2019, T.B.O., 2019); de simples travaux de rénovation ne répondent pas non plus à la notion de reconstruction.
(2) les travaux dont les coûts sont pris en compte doivent être considérés largement : il peut s’agir des coût afférents aux frais de démolition, de reconstruction portant sur le gros oeuvre mais également les autres frais accessoires tels que les honoraires des architectes (J.P. Gand, 12 octobre 2019, R.W., 2019-2020). L’article 16, I, 3° de la loi n’exige pas que le coût des travaux effectués au gros oeuvre même dépasse les trois années de loyer. Suite à la démolition/reconstruction, des travaux sont nécessaires pour remettre les locaux en ordre. Le coût de ces travaux sont également pris en considération (Cass, 18 novembre 2002, R.W, 2002-2003).
Cependant, l’indemnité d’éviction n’est pas due si la reconstruction est rendue nécessaire par la vétusté de l’immeuble.
La notion de vétusté consiste en une usure résultant de l’âge du bâtiment loué et qui nécessite absolument la démolition du bien. Rappelons que le droit au renouvellement est le principe tandis que les motifs de refus, l’exception. Dès lors, les motifs refusant le renouvellement du bail commercial doivent être appréciés de manière restrictive. Le juge de paix de Beringen définit la vétusté comme l’usure qui résulte de l’écoulement du temps rendant l’immeuble inhabitable et qui constitue un danger pour la sécurité des occupants (J.P. Beringen, 6 novembre 2015, J.J.P., 2017). Ce jugement stipule que l’âge du bien loué et le fait qu’il soit inadapté au confort exigé par les normes actuelles ne constituent pas des éléments suffisants pour établir la vétusté de l’immeuble.
Ont été considérés comme vétusté, l’immeuble loué qui présente un danger de stabilité, ainsi que la moisissure et des champignons en formation (J.P. Gand, 12 octobre 2019, R.W. 2019-2020).
Notons que l’article 16, IV de la loi sur les baux commerciaux dispose qu’en-dehors des cas visés ci-dessus, le bailleur peut se refuser au renouvellement moyennant le versement au preneur d’une indemnité d’éviction de trois années de loyer, majorée éventuellement des sommes suffisantes pour assurer une réparation intégrale du préjudice causé.
Néanmoins, le droit du preneur à une indemnité d’éviction n’est pas automatique (Cass. 29 novembre 2001 Pas, 2001). En effet, lorsque le locataire principal donne le bien loué en sous-location et que seul le sous-locataire exerce des droits sur le fonds de commerce, le locataire ne peut faire valoir de droit propre à l’indemnité d’éviction à l’égard du bailleur; dans ce cas et dans la mesure où la perte du fonds de commerce est due au refus de renouvellement opposé par le bailleur, seul le sous-locataire a droit à l’indemnité d’éviction, à l’intervention obligatoire du locataire principal.