Chronique
Pendant la durée du bail, il arrive fréquemment que le preneur souhaite effectuer des travaux d’aménagement à l’intérieur des lieux loués, voir même y réaliser de véritables petites constructions.
Mais à la fin de bail, à défaut de clause précise, quel sort faudra-t-il réserver à tous ces aménagements, lorsqu’on sait que le preneur devra restituer les lieux loués dans son pristin état ?
En fonction des circonstances, plusieurs solutions seront possibles. Certaines améliorations seront acquises de plein droit, sans aucune compensation.
Dans certaines circonstances, le preneur aura droit à une indemnité, et concernant les travaux dissociables, le preneur aura la possibilité de les reprendre étant resté propriétaire.
L’article 1728-1° du Code civil impose au preneur d’user de la chose louée suivant la notion juridique d’une personne prudente et raisonnable, et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail, ou suivant celle présumée d’après les circonstances, à défaut de convention.
Par ailleurs, en vertu de l’article 1730 du Code civil, le bien donné en location doit, en principe, être restitué dans l’état qui était le sien au début du bail.
L’application de ces principes devrait a priori interdire au locataire d’apporter à l’immeuble loué des améliorations qui ne sont pas susceptibles d’enlèvement, sauf accord du bailleur.
La jurisprudence a toutefois autorisé le preneur à faire installer dans l’immeuble loué le gaz, l’électricité, la télédistribution, le téléphone, des aménagements correspondant aux nécessités et usages constants de la vie moderne.
Mais si ces aménagements ne sont plus contestables, il y en a d’autres qui constituent certes une utilité pour le preneur, mais sont considérés comme ne présentant une moindre utilité, d’autres sont même considérés comme somptuaires.
Comment la jurisprudence a-t-elle réagit ?
La théorie des impenses consacre l’idée que l’on ne peut s’enrichir injustement aux dépens d’autrui, mais il faut que certaines conditions très strictes soient réunies.
La doctrine fait la distinction entre les travaux réguliers et les travaux irréguliers, les travaux dissociables et les travaux indissociables.
Les travaux réguliers, ce sont les travaux qui sont conformes au bail et à la destination du bien et qui permettent à l’échéance la remise en état du bail, ou des travaux qui sont effectués avec l’accord du bailleur.
Le preneur-constructeur est jusqu’à l’expiration du bail propriétaire des ouvrages dissociables qu’il a effectués. On parle d’accession différée. Il peut donc les supprimer à sa guise ou y apporter des nouvelles modifications. A la fin du bail, il peut soit les reprendre, soit les laisser dans les lieux avec l’accord du propriétaire qui versera une compensation conventionnelle.
Sont considérés comme indissociables, les travaux qui ne peuvent être enlevés (cfr. Cour de cassation, arrêt )
Si les travaux et les aménagements sont indissociables, il convient de distinguer les impenses nécessaires, utiles et voluptuaires.
Les impenses nécessaires sont celles sans lesquelles le bien de l’enrichi eût péri ou se fût détérioré gravement.
Le propriétaire doit payer une indemnité correspondant au coût des matériaux et des travaux.
S’ils ont été autorisés par le bailleur, et que le preneur ne souhaite pas les récupérer, il a droit à recevoir une indemnité de la part du bailleur.
Critères à la base du calcul :
Soit tout a été réglé par une convention.
A défaut, l’indemnité à payer sera l’équivalent des sommes déboursées initialement sur base des factures des matériaux et de la main d’oeuvre;
Soit une indemnité est égale à la plus-value apportée à l’immeuble sans pouvoir dépasser le montant de l’appauvrissement réel du locataire, mais il n’est pas rare que la plus-value soit estimée à un prix supérieur à celui réellement décaissé.
Ainsi une clause peut prévoir « d’après la plus-value apportée à l’immeuble et estimée au moment de la fin du bail ».
Cette solution est identique lorsque les travaux ne sont pas susceptibles d’enlèvement.
Le preneur doit être indemnisé des travaux nécessaires (par exemple la consolidation d’un mur menaçant de ruine) et utiles (autre exemple : l’installation de l’électricité).
le preneur par contre, n’a droit à aucun remboursement pour les travaux somptuaires (c’est à dire les travaux que le locataire a effectué pour son seul agrément — l’installation d’un système de conditionnement d’air, d’un éclairage d’ambiance, etc…).
Quelle est la solution lorsque les travaux sont irréguliers ?
C’est les dispositions de l’article 1730 du code civil qui s’applique : le bien donné en location doit en principe, être restitué dans l’état qui était le sien au début du bail.
Cet article précise que le preneur est tenu d’user de la chose louée suivant la notion de « personne prudente et raisonnable » conformément à sa destination et de restituer le bien dans son pristin état, ce qui implique qu’il ne puisse, à défaut d’accord du bailleur, effectuer des travaux non susceptibles d’enlèvement ou qui modifient la structure du bâtiment.
S’il méconnait cette obligation, il commet une faute, et il est donc logique de ne pas lui octroyer une indemnité.
Bien au contraire, si le bailleur démontre l’existence d’un préjudice, il pourra réclamer au preneur des dommages et intérêts.
Le bailleur, sur base de l’état des lieux d’entrée exigera du locataire d’enlever tous les aménagements qu’il a réalisé sur base des dispositions précitées, le preneur n’aura droit à aucune indemnité, s’il prend la décision de laisser les aménagements, sous réserves de dommages et intérêts au bailleur.
On considère généralement, qu’il n’est pas normal pour le bailleur qui n’a pas la possibilité d’enlever les aménagements effectués par son locataire, d’être tenu contre son gré devant l’obligation de payer une indemnité (DE PAGE, Droit civil, tome IV, édition 1972, n° 690; Rép. not., tome VIII, Le bail en général, p. 207, n° 342 et 343; RPDB., complément tome I, p. 413, n° 394; SIMONT et DE GAVRE, « Examen de jurisprudence – Contrats spéciaux », RCJB, 1969, n° 59, p. 586, et RCJB, 1985, n° 95, p. 309);
3. Jurisprudence
Juge de paix de Binche, Jugement du 25 novembre 2005
Superficie – Impenses – Résidence principale
Les occupants prétendent qu’il ne s’agit pas d’un bail, car celui-ci est incompatible avec l’accord du bailleur de laisser les preneurs construire sur les parcelles comme il le fait. Le sort des constructions en fin de bail n’est pas soumis à la loi du 10 janvier 1824 ni à l’article 555 du code civil. Il est régi par les clauses contractuelles ou les dispositions légales relatives aux baux ou encore par la théorie de l’enrichissement sans cause (C. Mostin, A. Culot, B. Goffaux et H. Vangindertael, Emphytéose et superficie. Aspects civil et fiscaux, Larcier, 2004, p. 147).
Le droit de superficie peut se constituer directement, par un titre, ou indirectement, lorsqu’il n’est qu’une conséquence d’un bail à long ou court terme. Dans cette hypothèse, il expirera en même temps que le bail.
La notion de résidence principale du preneur n’est pas définie par la loi : elle s’entend du lieu où le preneur réside effectivement et à titre principal c’est-à-dire de l’endroit où il organise en fait ses principales activités familiales, ce que confirme la définition du logement donnée par la loi-programme du 24 décembre 2002.
Le congé prématuré n’est pas nul : il produit ses effets à l’expiration du triennat en cours.
En présence de travaux immobiliers susceptibles d’enlèvement, qu’ils soient objectivement réguliers ou qu’ils soient irréguliers, le bailleur a le choix, à la fin du bail, d’en demander l’enlèvement ou de les maintenir en en indemnisant le preneur. (J.L.M.B. 06/149)
Cour de cassation, Arrêt du 30 janvier 2004
Dégâts locatifs – évaluation
Si le juge doit se placer au moment où il statue pour évaluer le montant de l’indemnité qu’il alloue en raison de dégâts locatifs, il ne peut tenir compte dans cette évaluation des événements postérieurs aux manquements du locataire et étrangers à ceux-ci ou au dommage lui-même qui auraient amélioré ou aggravé la situation du bailleur, il ne peut, ainsi, tenir compte de la revente de l’immeuble à un prix très satisfaisant pour apprécier le dommage.
Tribunal de première instance de Tournai, Jugement du 26 mars 1996
Travaux non susceptibles d’enlèvement
Lorsqu’un locataire décide unilatéralement d’effectuer des travaux incorporés de manière indissociable au bien loué (en l’espèce, l’amélioration de l’installation électrique), il peut se prévaloir de la théorie des impenses et, par conséquent, réclamer au bailleur une indemnité, s’il prouve que les aménagements étaient nécessaires ou à tout le moins utiles.
En n’exigeant pas un état des lieux qui aurait constaté l’éventuelle nécessité des travaux envisagés, le preneur se prive consciemment de toute possibilité de preuve et il doit en assumer le risque. (JJP 1997, p. 135 à 145, Note Luc Herve).
Travaux non susceptibles d’enlèvement
Lorsque le preneur effectue des travaux non susceptibles d’enlèvement (en l’espèce, l’amélioration de l’installation électrique), sans l’accord préalable des bailleurs, ceux-ci ne peuvent être tenus de lui payer une quelconque indemnité, ni par application analogique de la théorie des impenses, laquelle perd de vue que le droit du preneur de procéder à des améliorations ne peut jamais aboutir, même indirectement, à créer une charge non souhaitée par le bailleur, ni en vertu du principe de l’enrichissement sans cause, qui suppose préalablement, et essentiellement, que le bailleur puisse contraindre le locataire à supprimer les ouvrages.
Toute solution contraire porterait atteinte à l’un des droits fondamentaux de notre société, à savoir le droit pour chaque propriétaire d’user de la chose à sa guise (consacré par l’art 544 du Code civil) JJP 1197 p. 133 + Note.
Appel a confirmé la décision (Cfr. décision suivante : Trib. civil de Tournai)
Justice de paix de Mouscron, Siège : J-M Janssens ; Avocats ; B. Kesteloot, J.L. Claus (loco J-M Gustin) jugement du 3 octobre 1994
Sort des améliorations – Travaux susceptibles d’être enlevés
La vente du bâtiment dans la perspective de laquelle une renonciation à l’accession intervient doit être analysée comme une condition suspensive affectant cette renonciation. Le bailleur qui n’a pas la possibilité de faire enlever les travaux exécutés par le locataire dans son propre intérêt et à ses risques et périls, en vue de lui permettre d’occuper immédiatement les lieux et dans la perspective d’une acquisition ultérieure, ne peut être placé contre son gré devant l’obligation de payer une indemnité. (Nous constatons toutefois, que les travaux ont été en partie financés par le bailleur par le paiement des matériaux !).
Tel n’est pas le cas pour une cabine électrique qui peut être aisément et sans dommage dissociée de la propriété, qui n’a pas été affectée au service du fond et qui n’a donc pu devenir immeuble par destination (JLMB 1994, p.767).
Cour d’appel de Mons, Arrêt du 23 novembre 1993
Sort des travaux d’aménagement
Sauf convention contraire, le sort en fin de bail des travaux de transformation apportés à l’immeuble est régi par la loi sur les baux commerciaux. L’article 9 de la loi précitée vise toutes les transformations exécutées à l’initiative et aux frais du preneur et n’est pas limité aux seuls travaux exécutés dans les conditions prévues par les articles 7 et 8 de ladite loi.
Les articles 7, 8 et 9 de la loi sur les baux commerciaux ne s’appliquent pas aux travaux d’aménagement des lieux loués. En l’absence de dispositions contractuelles, le sort de ces travaux, en fin de bail, est régi par les règles de droit commun (JT 1992, p 333).
Justice de paix de Fosses-la-ville, Jugement du 4 septembre 1991
Améliorations non-susceptibles d’enlèvement
A défaut de convention entre parties quant au sort à réserver en fin de bail aux travaux effectués par le preneur dans les lieux loués, il convient de distinguer entre les améliorations susceptibles d’enlèvement et celles qui ne le sont pas. En cas de travaux susceptibles d’enlèvement, le bailleur a le droit absolu d’en exiger leur démolition. S’il préfère les conserver, le preneur peut invoquer l’enrichissement sans cause.
Dans l’hypothèse d’améliorations non susceptibles d’enlèvement, celles-ci appartiennent de plein droit au bailleur sans indemnité pour le preneur.
L’occupation personnelle et effective requise par la loi en cas de retrait de prorogation n’implique ni l’habitation, ni l’installation d’une résidence principale dans les lieux anciennement donnés en location, il suffit que la volonté du bailleur d’occuper le bien ne soit pas le prétexte d’une installation fictive en fraude de la loi (RRD 1980, p. 228).
Justice de paix de Gosselies, Sièg.M. Leclercq, Juge de paix suppl. ; Avocats : MMes Roland (loco Lorent) et Bermils Jugement du 17 août 1979